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Arrivée à l'aviation - Tranche de Vie

Tranche de Vie "Arrivée à l'aviation" est une tranche de vie mise en ligne par "Cathou inafrica"..

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Arrivée à l'aviation

 

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Zébus sur la palge de Cabrousse à la tombée de la nuit

Je choisis toujours la place la plus proche de la lourde porte qui clôt la cabine.

Dès que le commandant amorce la descente, une fois passée l’épaisse couche de nuages, l’étendue océane étincelle. L’image n’est jamais la même. J’ai une boule dans l’estomac, je suis toujours conquise. Je ne peux décrire avec des mots cet instant car il me vrille le ventre au point de ne plus pouvoir rien dire. Les couleurs sont magiques. Elles sortent de la chromatique qui existe au sol.

Puis vient l’atterrissage, lorsque le pilote immobilise l’appareil et que l’hôtesse ouvre le passage, je suis la première à user de l’air chaud et lourd entrant dans mes poumons. Immédiatement sur la passerelle, je peux respirer la chaleur, me saouler de la pesante humidité qui me ramène chez moi. L’odeur de la rencontre à ce moment précis est celle de l’Afrique équatoriale, à nulle autre pareille. La moisissure est dans l’air mais indéfinissable. 

Au loin, les toits de tôle des cases du village des pêcheurs. J’aime par dessus tout prendre le vol qui m’amène à 18 heures sur le tarmac casaçais*. Le disque solaire alors commence à disparaître en marquant l’horizon de longues écharpes orangées. Le ciel est gris, plombé, rien n’est aérien, la chape africaine est sur mes épaules. Elle pèse le poids des ancêtres.

Quelques pas sur la piste toujours ensablée et les voix des diolas** se font entendre au loin. Pas de voiture, pas de tapis roulant, pas de bus, c’est à pieds qu’il faut rejoindre le bâtiment principal pour passer les formalités de douane. Mais même celles ci- ne nous ramènent pas à la réalité  européenne. La bâtisse est un ancien poste de contrôle datant du soulèvement des diolas contre l’état sénégalais. Il devait d’ailleurs être déjà là car sa structure est celle des maisons coloniales. C’est à ce moment là que commence le folklore. Le folklore ? non, ça c’est le terme que donnent les touristes. C’est la vie qui s’exprime. Il fait chaud, il fait lourd. Les femmes circulent pour distribuer des sachets d’eau glacée ou de sorbets parfumés à la mangue, au pain de singe*** ou aux fleurs de bougainvilliers.

Le bruit est assourdissant, les jumbés¤* tapent fort, quelques enfants dansent bloquant le passage de la récupération des valises, totalement détachés des voyageurs qui paniquent sans leur bagage. Je sens le rythme casaçais prendre possession de moi. J’ai le temps. Je viendrai demain chercher ma cantine, ou j’enverrai Napoléon, le gardien. 

Sénabé est de retour au pays. Elle aussi a souffert du froid et elle a déjà perdu ses chaussures dans la foule pour engager quelques pas de danse. Les douaniers renoncent à obtenir d’elle le moindre passeport. Que faire d’un passeport lorsque l’on a choisi le retour au village ? 

J’ai accompagné Sénabé sur trois mesures puis me suis échappée. Si l’ambiance colorée et bruyante de l’aviation¤¤ me donne envie de rire aux éclats, j’ai hâte de brûler ma peau sur le sable surchauffé par la journée écoulée.

Quelques centaines de mètres et déjà j’entends les vagues s’écraser sur la plage. Ce soir le vent souffle et siffle dans les feuilles de palme. Dans l’avion, j’ai échangé ma tenue civilisée contre un pagne enroulé autour de ma taille et un haut de coton. Mes chaussures ont dû faire le bonheur des jeunes qui traînent dans le hall de l’aviation, toujours contents de récupérer quelques pièces européennes.

Je suis seule à cette heure. Les pêcheurs au loin reviennent dans leur pirogue de relever les filets. Ils me font de grands signes de la main. Ils ont vu l’avion et savent qui est revenu. Tout se dit au village. Il savent aussi que mes premières minutes appartiennent à la mer. Ce soir ils iront se poser un peu plus loin pour respecter mon silence.

J’ai donné rendez-vous à Margot et Napoléon le long des rogniers¤¤¤ qui bordent la plage. Mais j’ai prévu une heure de liberté.

Une heure pour me ressourcer. Une heure pour reprendre ma peau d’africaine. Une heure pour respirer l’air salé, goûter l’eau qui réchauffe ma peau, m’allonger sur le sable et regarder la nuit qui tombe sur Cabrousse. Je suis seule, j’aime ça. Les zébus viennent marcher dans les vagues de la marée montante. Les margouillas courent sur le sable. Les crabes s’enterrent pour la nuit. 

Dans l’air, des insectes tournent sans jamais se poser car à la brune, les caméléons cherchent à les attraper, cachés dans les hautes herbes sèches qui bordent l’endroit.

La brousse descend jusque sur le sable. 

Les oiseaux crient et les couples de perroquets cherchent un cocotier pour la nuit. Un pic vert tape sur un tronc. Les bruits sont nombreux mais pas répercutés car il n’y a pas d’arbre épais, pas de murs, donc le son s’enfuit, ne trouve rien pour lui rendre son écho.  Au loin, les hyènes commencent à gémir. Elles hurlent la nuit mais déjà entraînent leur voix quand le jour tombe. C’est le signal pour les petits animaux qui doivent se protéger de l’implacable prédateur.

Margot et Napoléon ne seront pas contents mais je décide de rentrer à pieds à la maison en traversant la brousse. Je n’ai jamais peur en brousse. Margot va gronder en disant qu’elle s’est déplacée pour une valise de rien du tout et que moi, je ne suis pas raisonnable mais tant pis. Trois kilomètres le long de la piste qui traverse de l’aviation jusque chez moi. Ou aller le long de la plage, les pieds dans les vagues pour arriver, au bout du sable, très proche de la maison. Ce soir, je choisis la brousse. J'aime la brousse pieds nus. Je ne suis pas née ici mais à chaque retour, elle me ré-adopte.

Je suis chez moi plus que n’importe où ailleurs en brousse. Je la connais par cœur. Avancer en écoutant le moindre bruit. A cette heure là, la vue ne sert plus à rien. Il faut écouter. Les craquements, les pas de quelque animal qui tourne, pour s’assurer que ce n’est pas une hyène. Tout le monde a peur en brousse mais il n’y a pas de risque. Les animaux n’aiment pas la nuit, ils sont fragiles la nuit. Des proies faciles donc ils ne cherchent pas à attaquer mais plutôt à se protéger car en brousse, il y a toujours plus gros que soi. 

Les termitières et les fourmilières sont au repos.

Je rentre à la maison. Ce soir, pas d’étoile, entre tropique et équateur, le ciel est rarement étoilé.  Il est trop bas. Il se perd en mer et ne veut pas gaspiller les petites lumières qui lui font de si beaux noëls aux pôles.

Ce soir, je suis chez moi.

Aïe ;-) Vous entendez Margot? ...

Ca. Valmalette

01-04-2015

* casaçais = de casamance

** peuple de Casamance

*** pain de singe : fruit du baobab

¤* jumbés : tamtam d’afrique de l’ouest

¤¤ aviation : nom donné aux aéroports (à Cabrousse, deux avions par hebdomadaires qui viennent de Dakar)

¤¤¤ rognier : sorte de palmier/cocotier dont les fruits sont consommés par les africains

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Cathou inafrica

01-04-2015

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Arrivée à l'aviation appartient au recueil Ma route en terre d'Afrique

 

Tranche de Vie terminée ! Merci à Cathou inafrica.

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